french postwar thought - barthes
french postwar thought - barthes
extracts from roland barthes, mythologies, 1957, editions de seuil
contents
mythologies
le monde où l'on catche
saponides et détergents
iconographie de l'abbé pierre
jouets
le vin et le lait
le bifteck et les frites
cuisine ornementale
astrologie
le mythe aujourd'hui
le mythe comme système sémiologique
lecture et déchiffrement du mythe
le mythe, à droite
le monde où l'on catche
«... la vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie.»
baudelaire
la vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif.on trouve là une emphase qui
devait être celle des théâtres antiques.d'ailleurs le catch est un spectacle de plein
air, car ce qui fait l'essentiel du cirque ou de l'arène, ce n'est pas le ciel (valeur
romantique réservée aux fêtes mondaines), c'est le caractère dru et vertical de la
nappe lumineuse; du fond même des salles parisiennes les plus encrassées, le catch
participe à la nature des grands spectacles solaires, théâtre grec et courses de
taureaux: ici et là, une lumière sans ombre élabore une émotion sans repli.
il y a des gens qui croient que le catch est un sport ignoble. le catch n'est pas un
sport, c'est un spectacle, et il n'est pas plus ignoble d'assister à une représentation
catchée de la douleur qu'aux souffrances d'arnolphe ou d'andromaque. bien sûr, il existe
un faux catch qui se joue à grands frais avec les apparences inutiles d'un sport
régulier; cela n'a aucun intérêt. le vrai catch, dit improprement catch d'amateurs, se
joue dans des salles de seconde zone, où le public s'accorde spontanément à la nature
spectaculaire du combat, comme fait le public d'un cinéma de banlieue. ces mêmes gens
s'indignent ensuite de ce que le catch soit un sport truqué (ce qui, d'ailleurs, devrait
lui (p.13)
(p.14) enlever de son ignominie). le public se moque complètement de savoir si le
combat est truqué ou non, et il a raison; il se confie à la première vertu du
spectacle, qui est d'abolir tout mobile et toute conséquence: ce qui lui importe, ce
n'est pas ce qu'il croit, c'est ce qu'il voit.
ce public sait très bien distinguer le catch de la boxe; il sait que la boxe est un
sport janséniste, fondé sur la démonstration d'une excellence; on peut parier sur
l'issue d'un combat de boxe: au catch, cela n'aurait aucun sens. le match de boxe est une
histoire qui se construit sous les yeux du spectateur; au catch, bien au contraire, c'est
chaque moment qui est intelligible, non la durée. le spectateur ne s'intéresse pas à la
montée d'une fortune, il attend l'image momentanée de certaines passions. le catch exige
donc une lecture immédiate des sens juxtaposés, sans qu'il soit nécessaire de les lier.
l'avenir rationnel du combat n'intéresse pas l'amateur de catch, alors qu'au contraire un
match de boxe implique toujours une science du futur. autrement dit, le catch est une
somme de spectacles, dont aucun n'est une fonction: chaque moment impose la connaissance
totale d'une passion qui surgit droite et seule, sans s'étendre jamais vers le
couronnement d'une issue.
ainsi la fonction du catcheur, ce n'est pas de gagner, c'est d'accomplir exactement les
gestes qu'on attend de lui. on dit que le judo contient une part secrète de symbolique;
même dans l'efficience, il s'agit de gestes retenus, précis mais courts, dessinés juste
mais d'un trait sans volume. le catch au contraire propose des gestes excessifs,
exploités jusqu'au paroxysme de leur signification. dans le judo, un homme à terre y est
à peine, il roule sur lui-même, il se dérobé, il esquive la défaite, ou, si elle est
évidente, il sort immédiatement du jeu; dans le catch, un homme à terre y est
exagérément, emplissant jusqu'au bout la vue des spectateurs, du spectacle intolérable
de son impuissance.
cette fonction d'emphase est bien la même que celle du théâtre antique, dont le
ressort, la langue et les accessoires (masques et cothurnes) concouraient à
l'explicationexagérément(p.14)
(p.15) visible d'une nécessité. le geste du catcheur vaincu signifiant au monde une
défaite que, loin de masquer, il accentue et tient à la façon d'un point
d'orgue, correspond au masque antique chargé de signifier le ton tragique du spectacle.
au catch, comme sur les anciens théâtres, on n'a pas honte de sa douleur, on sait
pleurer, on a le goût des larmes.
chaque signe du catch est donc doué d'une clarté totale puisqu'il faut toujours tout
comprendre sur-le-champ. dès que les adversaires sont sur le ring, le public est investi
par l'évidence des rôles. comme au théâtre, chaque type physique exprime à l'excès
l'emploi qui a été assigné au combattant. thauvin, quinquagénaire obèse et croulant,
dont l'espèce de hideur asexuée inspire toujours des surnoms féminins, étale dans sa
chair les caractères de l'ignoble, car son rôle est de figurer ce qui, dans le concept
classique du «salaud» (concept-clef de tout combat de catch), se présente comme
organiquement répugnant. la nausée volontairement inspirée par thauvin va donc très
loin dans l'ordre des signes: non seulement on se sert ici de la laideur pour signifier la
bassesse, mais encore cette laideur est tout entière rassemblée dans une qualité
particulièrement répulsive de la matière: l'affaissement blafard d'une viande morte (le
public appelle thauvin «la barbaque»), en sorte que la condamnation passionnée de la
foule ne s'élève plus hors de son jugement, mais bien de la zone la plus profonde de son
humeur. on s'empoissera donc avec frénésie dans une image ultérieure de thauvin toute
conforme à son départ physique: ses actes répondront parfaitement à la viscosité
essentielle de son personnage.
c'est donc le corps du catcheur qui est la première clef du combat. je sais dès le
début que tous les actes de thauvin, ses trahisons, ses cruautés et ses lâchetés, ne
décevront pas la première image qu'il me donne de l'ignoble: je puis me reposer sur lui
d'accomplir intelligemment et jusqu'au bout tous les gestes d'une certaine bassesse
informe et de remplir ainsi à pleins bords l'image du salaud le plus(p. 15)
(p. 16) répugnant qui soit: le salaud-pieuvre. les catcheurs ont donc un physique
aussi péremptoire que les personnages de la comédie italienne, qui affichent par avance,
dans leur costume et leurs attitudes, le contenu future de leur rôle: de même que
pantalon ne peut être jamais qu'un cocu ridicule, arlequin un valet astucieux et le
docteur un pédant imbécile, de même thauvin ne sera jamais que le traître ignoble,
reinières (grand blond au corps mou et aux cheveux fous) l'image troublante de la
passivité, mazaud (petit coq arrogant) celle de la fatuité grotesque, et orsano (zazou
féminisé apparu dès l'abord dans une robe de chambre bleue et rose) celle, doublement
piquante; d'une «salope» vindicative (car je ne pense pas que le public de
l'elysée-montmartre suive littré et prenne le mot «salope» pour un masculin).
le physique des catcheurs institue donc un signe de base qui contient en germe tout le
combat. mais ce germe prolifère car c'est à chaque moment du combat, dans chaque
situation nouvelle, que le corps du catcheur jette au public le divertissement merveilleux
d'une humeur qui rejoint naturellement un geste. les différentes lignes de signification
s'éclairent les unes les autres, et forment le plus intelligible des spectacles. le catch
est comme une écriture diacritique: au-dessus de la signification fondamentale de son
corps, le catcheur dispose des explications épisodiques mais toujours bien venues, aidant
sans cesse à la lecture du combat par des gestes, des attitudes et des mimiques qui
portent l'intention à son maximum d'évidence. ici, le catcheur triomphe par un rictus
ignoble lorsqu'il tient le bon sportif sous ses genoux; là, il adresse à la foule, un
sourire suffisant, annonciateur de la vengeance prochaine; là encore, immobilisé à
terre, il frappe le sol grands coups de ses bras pour signifier à tous la nature
intolérable de sa situation; là enfin, il dresse un ensemble compliqué de signes
destinés à faire comprendre qu'il incarne à bon droit l'image toujours divertissante du
mauvais coucheur, fabulant intarissablement autour de son mécontentement. (p.16)
(p. 17) il s'agit donc d'une véritable comédie humaine, où les nuances les plus
sociales de la passion (fatuité, bon droit, cruauté raffinée, sens du «paiement»)
rencontrent toujours par bonheur le signe le plus clair qui puisse les recueillir, les
exprimer et les porter triomphalement jusqu'aux confins de la salle. on comprend qu'à ce
degré, il n'importe plus que la passion soit authentique ou non. ce que le public
réclame, c'est l'image de la passion, non la passion elle-même. il n'y a pas plus un
problème de vérité au catch qu'au théâtre. ici comme là ce qu'on attend, c'est la
figuration intelligible de situations morales ordinairement secrètes. cet évidement de
l'intériorité au profit de ses signes extérieurs, cet épuisement du contenu par la
forme, c'est le principe même de l'art classique triomphant. le catch est une pantomime
immédiate, infiniment plus efficace que la pantomime théâtrale, car le geste du
catcheur n'a besoin d'aucune fabulation, d'aucun décor, en un mot d'aucun transfert pour
paraître vrai.
chaque moment du catch est donc comme une algèbre qui dévoile instantanément la
relation d'une cause et de son effet figuré. il y a certainement chez les amateurs de
catch une sorte de plaisir intellectuel à voir fonctionner aussi parfaitement la
mécanique morale: certains catcheurs, grands comédiens, divertissent à l'égal d'un
personnage de molière, parce qu'ils réussissent à imposer une lecture immédiate de
leur intériorité: un catcheur du caractère arrogant et ridicule (comme on dit
qu'harpagon est un caractère), armand mazaud, met toujours la salle en joie par la
rigueur mathématique de ses transcriptions, poussant le dessin de ses gestes jusqu'à
l'extrême pointe de leur signification, et donnant à son combat l'espèce d'emportement
et de précision d'une grande dispute scolastique, dont l'enjeu est à la fois le triomphe
de l'orgueil et le souci formel de la vérité.
ce qui est ainsi livré au public, c'est le grand spectacle de la douleur, de la
défaite, et de la justice. le catch présente la douleur de l'homme avec toute
l'amplification des masques tragiques: le catcheur qui souffre sous l'effet (p. 17)
(p. 18)d'une prise réputée cruelle (un bras tordu, une jambe coincée) offre la
figure excessive de la souffrance; comme une pietà primitive, il laisse regarder son
visage exagérément déformé par une affliction intolérable. on comprend bien qu'au
catch, la pudeur serait déplacée, étant contraire à l'ostentation volontaire du
spectacle, à cette exposition de la douleur, qui est la finalité même du combat. aussi
tous le actes générateurs de souffrances sont-ils particulièrement spectaculaires,
comme le geste d'un prestidigitateur qui montre bien haut ses cartes: on ne comprendrait
pas une douleur qui apparaîtrait sans cause intelligible; un geste, secret effectivement
cruel transgresserait les lois non-écrites du catch et ne serait d'aucune efficacité
sociologique, comme un geste fou ou parasite. au contraire, la souffrance paraît
infligée avec ampleur et conviction, car il faut que tout le monde constate non seulement
que l'homme souffre, mais encore et surtout comprenne pourquoi il souffre. ce que les
catcheurs appellent une prise, c'est-à-dire une figure quelconque qui permet
d'immobiliser indéfiniment l'adversaire et de le tenir à sa merci, a précisément pour
fonction de préparer d'une façon conventionnelle, donc intelligible, le spectacle de la
souffrance, d'installer méthodiquement les conditions de la souffrance: l'inertie du
vaincu permet au vainqueur (momentané) de s'établir dans sa cruauté et de transmettre
au public cette paresse terrifiante du tortionnaire qui est sûr de la suite de ses
gestes: frotter rudement le museau de l'adversaire impuissant ou racler sa colonne
vertébrale d'un poing profond et régulier, accomplir du moins la surface visuelle de ces
gestes, le catch est le seul sport à donner une image aussi extérieure de la torture.
mais ici encore, seule l'image est dans le champ du jeu, et le spectateur ne souhaite pas
la souffrance réelle du combattant, il goûte seulement la perfection d'une iconographie.
ce n'est pas vrai que le catch soit un spectacle sadique: c'est seulement un spectacle
intelligible.
il y a une autre figure encore plus spectaculaire que la prise, c'est la manchette,
cette grande claque des avant-bras,(p. 18)
(p. 19) ce coup de poing larvé dont on assomme la poitrine de l'adversaire, dans un
bruit flasque et dans l'affaissement exagéré du corps vaincu. dans la manchette, la
catastrophe est portée à son maximum d'évidence, à tel point qu'à la limite, le geste
n'apparaît plus que comme un symbole; c'est aller trop loin, c'est sortir des règles
morales du catch, où tout signe doit être excessivement clair, mais ne doit pas laisser
transparaître son intention de clarté; le public crie alors «chiqué», non parce qu'il
regrette l'absence d'une souffrance effective, mais parce qu'il condamne l'artifice: comme
au théâtre, on sort du jeu autant par excès de sincérité que par excès d'apprêt.
on a déjà dit tout le parti que les catcheurs tiraient d'un certain style physique,
composé et exploité pour développer devant les yeux du public une image totale de la
défaite. la mollesse des grands corps blancs qui s'écroulent à terre d'une pièce ou
s'effondrent dans les cordes en battant des bras, l'inertie des catcheurs massifs
réfléchis pitoyablement par toutes les surfaces élastiques du ring, rien ne peut
signifier plus clairement et plus passionnément l'abaissement exemplaire du vaincu.
privée de tout ressort, la chair du catcheur n'est plus qu'une masse immonde répandue à
terre et qui appelle tous les acharnements et toutes les jubilations. il y a là un
paroxysme de signification à l'antique qui ne peut que rappeler le luxe d'intentions des
triomphes latins. a d'autres moments, c'est encore une figure antique qui surgit de
l'accouplement des catcheurs, celle du suppliant, de l'homme rendu à merci, plié, à
genoux, les bras levés au-dessus de la tète, et lentement abaissé par la tension
verticale du vainqueur. au catch, contrairement au judo, la défaite n'est pas un signe
conventionnel, abandonné dès qu'il est acquis: elle n'est pas une issue, mais bien au
contraire une durée, une exposition, elle reprend les anciens mythes de la souffrance et
de l'humiliation publiques: la croix et le pilori. le catcheur est comme crucifié en
pleine lumière, aux yeux (p. 19)
(p. 20) de tous. j'ai entendu dire d'un catcheur étendu à terre: «il est mort, le
petit jésus, là, en croix». et cette parole ironique découvrait les racines profondes
d'un spectacle qui accomplit les gestes mêmes des plus anciennes purifications.
mais ce que le catch est surtout chargé de mimer, c'est un concept purement moral: la
justice. l'idée de paiement est essentielle au catch et le «fais-le souffrir», de la
foule signifie avant tout un «fais-le payer». il s'agit donc, bien sûr, d'une justice
immanente. plus l'action du «salaud» est basse, plus le coup qui lui est justement rendu
met le public en joie: si le traître - qui est naturellement un lâche - se réfugie
derrière les cordes en arguant de son mauvais droit par une mimique effrontée, il y est
impitoyablement rattrapé et la foule jubile à voir la règle violée au profit d'un
châtiment mérité. les catcheurs savent très bien flatter le pouvoir d'indignation du
public en lui proposant la limite même du concept de justice, cette zone extrême de
l'affrontement où il suffit de sortir encore un peu plus de la règle pour ouvrir les
portes d'un monde effréné. pour un amateur de catch, rien n'est plus beau que la fureur
vengeresse d'un combattant trahi qui se jette avec passion, non sur un adversaire heureux
mais sur l'image cinglante de la déloyauté. naturellement, c'est le mouvement de la
justice qui importe ici beaucoup plus que son contenu: le catch est avant tout une série
quantitative de compensations (oeil pour oeil, dent pour dent). ceci explique que les
retournements de situations possèdent aux yeux des habitués du catch une sorte de
beauté morale: ils en jouissent comme d'un épisode romanesque bien venu, et plus le
contraste est grand entre la réussite d'un coup et le retour du sort, plus la fortune
d'un combattant est proche de sa chute et plus le mimodrame est jugé satisfaisant. la
justice est donc le corps d'une transgression possible; c'est parce qu'il y a une loi que
le spectacle des passions qui la débordent a tout son prix.
on comprendra donc que sur cinq combats de catch, un seul environ soit régulier. une
fois de plus il faut entendre que la régularité est ici un emploi ou un genre, comme au
(p. 20) (p. 21) théâtre: la règle ne constitue pas du tout une contrainte réelle, mais
l'apparence conventionnelle de la régularité. aussi, en fait, un combat régulier n'est
rien d'autre qu'un combat exagérément poli: les combattants mettent du zèle, non de la
rage à s'affronter, ils savent rester maîtres de leurs passions, ils ne s'acharnent pas
sur le vaincu, ils s'arrêtent de combattre dès qu'on leur donne l'ordre, et se saluent
à l'issue d'un épisode particulièrement ardu où ils n'ont cependant pas cessé d'être
loyaux l'un envers l'autre. il faut naturellement lire que toutes ces actions polies sont
signalées au public par les gestes les plus conventionnels de la loyauté: se serrer la
main, lever les bras, s'éloigner ostensiblement d'une prise stérile qui nuirait a la
perfection du combat.
inversement la déloyauté n'existe ici que par ses signes excessifs: donner un grand
coup de pied au vaincu, se réfugier derrière les cordes en invoquant ostensiblement un
droit purement formel, refuser de serrer la main à son partenaire avant ou après le
combat, profiter de la pause officielle pour revenir en traître sur le dos de
l'adversaire, lui donner un coup défendu hors du regard de l'arbitre (coup qui n'a
évidemment de valeur et d'emploi que parce qu'en fait la moiti de la salle peut le voir
et s'en indigner). le mal étant le climat naturel du catch, le combat régulier prend
surtout une valeur d'exception; l'usager s'en étonne, et le salue au passage comme un
retour anachronique et un peu sentimental à la tradition sportive («ils sont drôlement
réguliers, ceux-là»); il se sent tout d'un coup ému devant la bonté générale du
monde, mais mourrait sans doute d'ennui et d'indifférence si les catcheurs ne
retournaient bien vite à l'orgie des mauvais sentiments, qui font seuls du bon catch.
extrapolé, le catch régulier ne pourrait conduire qu'à la boxe ou au judo, alors que
le catch véritable tient son originalité de tous les excès qui en font un spectacle et
non un sport. la fin d'un match de boxe ou d'une rencontre de judo est sèche comme le
point conclusif d'une démonstration. le rythme du catch est tout différent, car son sens
(p. 21)
(p. 22) naturel est celui de l'amplification rhétorique: l'emphase des passions, le
renouvellement des paroxysmes, l'exaspération des répliques ne peuvent naturellement
déboucher que dans la plus baroque des confusions. certains combats, et des plus
réussis, se couronnent d'un charivari final, sorte de fantasia effrénée où
règlements, lois du genre, censure arbitrale et limites du ring sont abolis, emportés
dans un désordre triomphant qui déborde dans la salle et entraîne pêle-mêle les
catcheurs, les soigneurs, l'arbitre et les spectateurs.
on a déjà noté qu'en amérique le catch figure une sorte de combat mythologique
entre le bien et le mal (de nature para-politique, le mauvais catcheur étant toujours
censé être un rouge). le catch français recouvre une tout autre héroïsation, d'ordre
éthique et non plus politique. ce que le public cherche ici est la construction
progressive d'une image éminemment morale: celle du salaud parfait. on vient au catch
pour assister aux aventures renouvelées d'un grand premier rôle, personnage unique,
permanent et multiforme comme guignol ou scapin, inventif en figures inattendues et
pourtant toujours fidèle à son emploi. le salaud se dévoile comme un caractère de
molière ou un portrait de la bruyère, c'est-à-dire comme une entité classique, comme
une essence, dont les actes ne sont que des épiphénomènes significatifs disposés dans
le temps. ce caractère stylisé n'appartient à aucune nation ni à aucun parti, et que
le catcheur s'appelle kuzchenko (surnommé moustache à cause de staline), yerpazian,
gaspardi, jo vignola ou nollières, l'usager ne lui suppose d'autre patrie que celle de la
«régularité».
qu'est-ce donc qu'un salaud pour ce public composé, paraît-il, en partie
d'irréguliers? essentiellement un instable, qui admet les règles seulement quand elles
lui sont utiles et transgresse la continuité formelle des attitudes. c'est un homme
imprévisible, donc asocial. il se réfugie derrière la loi quand il juge qu'elle lui est
propice et la (p. 22)
(p. 23) trahit quand cela lui est utile; tantôt il nie la limite formelle du ring et
continue de frapper un adversaire protégé légalement par les cordes, tantôt il
rétablit cette limite et réclame la protection de ce qu'un instant avant il ne
respectait pas. cette inconséquence, bien plus que la trahison ou la cruauté, met le
public hors de lui: froissé non dans sa morale mais dans sa logique, il considère la
contradiction des arguments comme la plus ignoble des fautes. le coup interdit ne devient
irrégulier que lorsqu'il détruit un équilibre quantitatif et trouble le compte
rigoureux des compensations; ce qui est condamé par le public, ce n'est nullement la
transgression de pâles règles officielles, c'est le défaut de vengeance, c'est le
défaut de pénalité. aussi, rien de plus excitant pour la foule que le coup de pied
emphatique donné à un salaud vaincu; la joie de punir est à son comble lorsqu'elle
s'appuie sur une justification mathématique, le mépris est alors sans frein: il ne
s'agit plus d'un «salaud» mais d' «une salope», geste oral de l'ultime dégradation.
une finalité aussi précise exige que le catch soit exactement ce que le public en
attend. les catcheurs, hommes de grande expérience, savent parfaitement infléchir les
épisodes spontanés du combat vers l'image que le public se fait des grands thèmes
merveilleux de sa mythologie. un catcheur peut irriter ou dégoûter, jamais il ne
déçoit, car il accomplit toujours jusqu'au bout, par une solidification progressive des
signes, ce que le public attend de lui. au catch, rien n'existe que totalement, il n'y a
aucun symbole, aucune allusion, tout est donné exhaustivement; ne laissant rien dans
l'ombre, le geste coupe tous les sens parasites et présente cérémonialement au public
une signification pure et pleine, ronde à la façon d'une nature. cette emphase n'est
rien d'autre que l'image populaire et ancestrale de l'intelligibilité parfaite du réel.
ce qui est mimé par le catch, c'est donc une intelligence idéale des choses, c'est une
euphorie des hommes, haussés pour un temps hors de l'ambiguïté constitutive des
situations quotidiennes et installés dans la vision panoramique d'une nature univoque,
(p. 23)
(p. 24)où les signes correspondraient enfin aux causes, sans obstacle, sans fuite et
sans contradiction. lorsque le héros ou le salaud du drame, l'homme qui a été vu
quelques minutes auparavant possédé par une fureur morale, grandi jusqu'à la taille
d'une sorte de signe métaphysique, quitte la salle de catch, impassible, anonyme, une
petite valise à la main et sa femme à son bras, nul ne peut douter que le catch détient
le pouvoir de transmutation qui est propre au spectacle et au culte. sur le ring et au
fond même de leur ignominie volontaire, les catcheurs restent des dieux, parce qu'ils
sont, pour quelques instants, la clef qui ouvre la nature, le geste pur qui sépare le
bien du mal et dévoile la figure d'une justice enfin intelligible.
saponides et détergents
le premier congrès mondial de la détergence (paris, septembre 1954) a autorisé le
monde à se laisser aller à l'euphorie d' omo : non seulement les produits
détergents n'ont aucune action nocive sur la peau, mais même ils peuvent peut-être
sauver les mineurs de la silicose. or ces produits sont depuis quelques années l'objet
d'une publicité si massive, qu'ils font aujourd'hui partie de cette zone de la vie
quotidienne des français, où les psychanalyses, si elles se tenaient à jour, devraient
bien porter un peu leur regard. on pourrait alors utilement opposer à la psychanalyse des
liquides purificateurs ( javel ), celle des poudres saponidées ( lux, persil
) ou détergentes ( rai, paic, crio, omo ). les rapports du remède et du mal, du
produit et de la saleté sont très différents dans 1'un ou l'autre cas.
par exemple, les eaux de javel ont toujours été senties comme une sorte de feu
liquide dont l'action doit être soigneusement mesurée, faute de quoi l'objet lui-même
est atteint, «brûlé»; la légende implicite de ce genre de produit repose sur l'idée
d'une modification violente, abrasive de la matière: les répondants sont d'ordre
chimique ou mutilant: le produit «tue» la saleté. au contraire, les poudres sont des
éléments séparateurs; leur rôle idéal est de libérer l'objet de son imperfection
circonstancielle: on «chasse» la saleté, on ne la tue plus; dans l'imagerie omo
, la saleté est un petit ennemi malingre et noir qui s'enfuit à toutes jambes du beau
linge pur, rien qu'à la menace du jugement d' omo . les chlores et les ammoniacs
sont sans aucun doute les délégués d'une sorte de feu total, sauveur mais aveugle; les
poudres sont au contraire sélectives, elles poussent, conduisent la saleté à travers la
trame de l'objet, elles sont une fonction de police, non de guerre. cette distinction a
ses répondants ethnographiques: le liquide chimique prolonge le geste de la lavandière
battant (p. 38)
(p. 39) son linge, et les poudres remplacent plutôt celui de la ménagère pressant et
roulant la lessive le long du lavoir incliné.
mais dans l'ordre même des poudres, il faut encore opposer à la publicité
psychologique, la publicité psychanalytique (j'entends ce mot sans y attacher une
signification d'école particulière.) par exemple, la blancheur persil fonde son
prestige sur l'évidence d'un résultat; on met en mouvement la vanité, le paraître
social, en donnant à comparer deux objets dont l'un est plus blanc que l'autre. la
publicité omo indique aussi l'effet du produit (sous une forme d'ailleurs
superlative), mais surtout découvre le procès de son action; elle engage ainsi le
consommateur dans une sorte de mode vécu de la substance, le rend complice d'une
délivrance et non plus seulement bénéficiaire d'un résultat; la matière est ici
pourvue d'états-valeurs.
omo en utilise deux, assez nouveaux dans l'ordre des détergents: le profond et
le mousseux. dire qu' omo nettoie en profondeur (voir la saynète du
cinéma-publicité), c'est supposer que le linge est profond, ce qu'on n'avait jamais
pensé, et ce qui est incontestablement le magnifier, l'établir comme un objet flatteur
à ces obscures poussées d'enveloppement et de caresse qui sont dans tout corps humain.
quant à la mousse, sa signification de luxe est bien connue: d'abord, elle a une
apparence d'inutilité; ensuite sa prolifération abondante, facile, infinie presque,
laisse supposer dans la substance dont elle sort, un germe vigoureux, une essence saine et
puissante, une grande richesse d'éléments actifs sous un petit volume originel; enfin
elle flatte chez le consommateur une imagination aérienne de la matière, un mode de
contact à la fois léger et vertical,poursuivi comme un bonheur aussi bien dans l'ordre
gustatif (foies gras, entremets, vins) que dans celui des vêtements (mousselines, tulles)
et dans celui des savons (vedette prenant son bain). la mousse peut même être signe
d'une certaine spiritualité, dans la mesure où l'esprit est réputé pouvoir tirer tout
de rien, une grande surface d'effets d'un petit volume de causes (les crèmes ont une tout
autre (p. 39)
(p.40) psychanalyse, d'ordre sopitif: elles abolissent les rides, la douleur, le feu,
etc.). l'important, c'est d'avoir su masquer la fonction abrasive du détergent sous
l'image délicieuse d'une substance à la fois profonde et aérienne qui peut régir
l'ordre moléculaire du tissu sans l'attaquer. euphorie qui ne doit d'ailleurs pas faire
oublier qu'il y a un plan où persil et omo , c'est tout comme: le plan du
trust anglo-hollandais unilever .
iconographie de l'abbé pierre
le mythe de l'abbé pierre dispose d'un atout précieux: la tête de l'abbé. c'est une
belle tête, qui présente clairement tous les signes de l'apostolat: le regard bon, la
coupe franciscaine, la barbe missionnaire, tout cela complété par la canadienne du
prêtre-ouvrier et la canne du pèlerin. ainsi sont réunis les chiffres de la légende et
ceux de la modernité. la coupe de cheveux, par exemple, à moitié rase, sans apprêt et
surtout sans forme, prétend certainement accomplir une coiffure entièrement abstraite de
l'art et même de la technique, une sorte d'état zéro de la coupe; il faut bien se faire
couper les cheveux, mais que cette opération nécessaire n'implique au moins aucun mode
particulier d'existence: qu'elle soit, sans pourtant être quelque chose. la coupe de
l'abbé pierre, conçue visiblement pour atteindre un équilibre neutre entre le cheveu
court (convention indispensable pour ne pas se faire remarquer) et le cheveu négligé
(état propre à manifester le mépris des autres conventions) rejoint ainsi l'archétype
capillaire de la sainteté: le saint est avant tout un être sans contexte formel; l'idée
de mode est antipathique à l'idée de sainteté.
mais où les choses se compliquent - à l'insu de l'abbé, il faut le souhaiter - c'est
qu'ici comme ailleurs, la neutralité finit par fonctionner comme signe de la
neutralité, et si l'on voulait vraiment passer inaperçu, tout serait à recommencer. la
coupe zéro, elle, affiche tout simplement le franciscanisme; conçue d'abord
négativement pour ne pas contrarier l'apparence de la sainteté, bien vite elle passe à
un mode superlatif de signification, elle déguise l'abbé en saint françois.
d'où la foisonnante fortune iconographique de cette coupe dans les illustrés et au
cinéma (où il suffira(p. 54) (p. 55) à 1"acteur reybaz de la porter pour se
confondre absolument avec l'abbé).
même circuit mythologique pour la barbe: sans doute peut-elle être simplement
l'attribut d'un homme libre, détaché des conventions quotidiennes de notre monde et qui
répugne à perdre le temps de se raser: la fascination de la charité peut avoir
raisonnablement ces sortes de mépris; mais il faut bien constater que la barbe
ecclésiastique a elle aussi sa petite mythologie. on n'est point barbu au hasard, parmi
les prêtres; la barbe y est surtout attribut missionnaire ou capucin, elle ne peut faire
autrement que de signifier apostolat et pauvreté; elle abstrait un peu son porteur
du clergé séculier; les prêtres glabres sont censés plus temporels, les barbus plus
évangéliques: l'horrible frolo était rasé, le bon père de foucauld barbu; derrière
la barbe, on appartient un peu moins à son évêque, à la hiérarchie, à l'Église
politique; on semble plus libre, un peu franc-tireur, en un mot plus primitif,
bénéficiant du prestige des premiers solitaires, disposant de la rude franchise des
fondateurs du monachisme, dépositaires de l'esprit contre la lettre: porter la barbe,
c'est explorer d'un même coeur la zone, la britonnie ou le nyassaland.
Évidement, le problème n'est pas de savoir comment cette forêt de signes a pu
couvrir l'abbé pierre (encore qu'il soit à vrai dire assez surprenant que les attributs
de la bonté soient des sortes de pièces transportables, objets d'un échange facile
entre la réalité, l'abbé pierre de match , et la fiction, l'abbé pierre du
film, et qu'en un mot l'apostolat se présente dès la première minute tout prêt, tout
équipé pour le grand voyage des reconstitutions et des légendes). je m'interroge
seulement sur l'énorme consommation que le public fait de ces signes. je le vois rassuré
par l'identité spectaculaire d'une morphologie et d'une vocation; ne doutant pas de l'une
parce qu'il connaît l'autre; n'ayant plus accès à l'expérience même de l'apostolat
que par son bric-à-brac et s'habituant à prendre bonne conscience devant le seul magasin
de la sainteté; et je m'inquiète d'une société qui consomme si avidement l'affiche de
la charité qu'elle (p. 55) (p. 56) en oublie de s'interroger sur ses conséquences, ses
emplois et ses limites. j'en viens alors à me demander si la belle et touchante
iconographie de l'abbé pierre n'est pas l'alibi dont une bonne partie de la nation
s'autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la
réalité de la justice.
jouets
que l'adulte français voit l'enfant comme un autre lui-même, il n'y en a pas de
meilleur exemple que le jouet français. les jouets courants sont essentiellement un
microcosme adulte; ils sont tous reproductions amoindries d'objets humains, comme si aux
yeux du public l'enfant n'était en somme qu'un homme plus petit, un homunculus à qui il
faut fournir des objets à sa taille.
les formes inventées sont très rares: quelques jeux de(p. 58)
(p. 59) construction, fondés sur le génie de la bricole, proposent seuls des formes
dynamiques. pour le reste, le jouet français signifie toujours quelque chose , et
ce quelque chose est toujours entièrement socialisé, constitué par les mythes ou les
techniques de la vie moderne adulte: l'armée, la radio, les postes, la médecine
(trousses miniatures de médecin, salles d'opération pour poupées), l'École, la
coiffure d'art (casques à onduler), l'aviation (parachutistes), les transports (trains,
citroëns, vedettes, vespas, stations-services), la science (jouets martiens).
que les jouets français préfigurent littéralement l'univers des fonctions
adultes ne peut évidemment que préparer l'enfant à les accepter toutes, en lui
constituant avant même qu'il réfléchisse l'alibi d'une nature qui a créé de tout
temps des soldats, des postiers et des vespas. le jouet livre ici le catalogue de tout ce
dont l'adulte ne s'étonne pas: la guerre, la bureaucratie, la laideur, les martiens, etc.
ce n'est pas tant, d'ailleurs, l'imitation qui est signe d'abdication, que sa
littéralité: le jouet français est comme une tête réduite de jivaro, où l'on
retrouve à la taille d'une pomme les rides et les cheveux de l'adulte. il existe par
exemple des poupées qui urinent; elles ont un oesophage, on leur donne le biberon, elles
mouillent leurs langes; bientôt, sans nul doute, le lait dans leur ventre se transformera
en eau. on peut par là préparer la petite fille à la causalité ménagère, la
«conditionner» à son futur rôle de mère. seulement, devant cet univers d'objets
fidèles et compliqués, l'enfant ne peut se constituer qu'en propriétaire, en usager,
jamais en créateur; il n'invente pas le monde, il l'utilise: on lui prépare des gestes
sans aventure, sans étonnement et sans joie. on fait de lui un petit propriétaire
pantouflard qui n'a même pas à inventer les ressorts de la causalité adulte; on les lui
fournit tout prêts: il n'a qu'à se servir, on ne lui donne jamais rien à parcourir. le
moindre jeu de construction, pourvu qu'il ne soit pas trop raffiné, implique un
apprentissage du monde bien différent: l'enfant n'y crée nullement des objets
significatifs, il lui importe peu qu'ils aient un nom adulte: ce qu'il exerce, ce n'est
pas un usage, (p. 59)
(p. 60) c'est une démiurgie: il crée des formes qui marchent, qui roulent, il crée
une vie, non une propriété; les objets s'y conduisent eux-mêmes, ils n'y sont plus une
matière inerte et compliquée dans le creux de la main. mais cela est plus rare: le jouet
français est d'ordinaire un jouet d'imitation, il veut faire des enfants usagers, non des
enfants créateurs.
l'embourgeoisement du jouet ne se reconnaît pas seulement à ses formes, toutes
fonctionnelles, mais aussi à sa substance. les jouets courants sont d'une matière
ingrate, produits d'une chimie, non d'une nature. beaucoup sont maintenant moulés dans
des pâtes compliquées; la matière plastique y a une apparence à la fois grossière et
hygiénique, elle éteint le plaisir, la douceur, l'humanité du toucher. un signe
consternant, c'est la disparition progressive du bois, matière pourtant idéale par sa
fermeté et sa tendreur, la chaleur naturelle de son contact; le bois ôte, de toute forme
qu'il soutient, la blessure des angles trop vifs, le froid chimique du métal; lorsque
l'enfant le manie et le cogne, il ne vibre ni ne grince, il a un son sourd et net à la
fois; c'est une substance familière et poétique, qui laisse l'enfant dans une
continuité de contact avec l'arbre, la table, le plancher. le bois ne blesse, ni ne se
détraque; il ne se casse pas, il s'use, peut durer longtemps, vivre avec l'enfant,
modifier peu à peu les rapports de l'objet et de la main; s'il meurt, c'est en diminuant,
non en se gonflant, comme ces jouets mécaniques qui disparaissent sous la hernie d'un
ressort détraqué. le bois fait des objets essentiels, des objets de toujours. or il n y
a presque plus de ces jouets en bois, de ces bergeries vosgiennes, possibles, il est vrai,
dans un temps d'artisanat. le jouet est désormais chimique, de substance et de couleur;
son matériau même introduit à une cénesthésie de l'usage, non du plaisir. ces jouets
meurent d'ailleurs très vite, et une fois morts, ils n'ont pour l'enfant aucune vie
posthume.
le vin et le lait
le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même
titre que ses trois cent soixante espèces de fromages et sa culture. c'est une
boisson-totem, correspondant au lait de la vache hollandaise ou au thé absorbé
cérémonieusement par la famille royale anglaise. bachelard a déjà donné la
psychanalyse substantielle de ce liquide, à la fin de son essai sur les rêveries de la
volonté, important que le vin est suc de soleil et de terre, que son état de base est,
non pas l'humide, mais le sec, et qu'à ce titre, la substance mythique qui lui est le
plus contraire, c'est l'eau.
a vrai dire comme tout totem vivace, le vin supporte une mythologie variée qui ne
s'embarrasse pas des contradictions. cette substance galvanique est toujours considérée,
par exemple, comme le plus efficace des désaltérants, ou du moins la soif sert de
premier alibi à sa consommation («il fait soif»). sous sa forme rouge, il a pour très
vieille hypostase, le sang, le liquide dense et vital. c'est qu'en fait, peu importe sa
forme humorale; il est avant tout une substance de conversion, capable de retourner les
situations et les états, et d'extraire des objets leur contraire: de faire, par exemple,
d'un faible un fort, d'un silencieux. un bavard; d'où sa vieille hérédité alchimique,
son pouvoir philosophique de transmuter ou de créer ex nihil .
Étant par essence une fonction, dont les termes peuvent changer, le vin détient des
pouvoirs en apparence plastiques (p. 74)
(p. 75) il peut servir d'alibi aussi bien au rêve qu'à la réalité, cela dépend des
usagers du mythe. pour le travailleur, le vin sera qualification, facilité démiurgique
de la tâche («coeur à l'ouvrage»). pour l'intellectuel, il aura la fonction inverse:
le «petit vin blanc» ou le «beaujolais» de l'écrivain seront chargés de le couper du
monde trop naturel des cocktails et des boissons d'argent (les seules que le snobisme
pousse à lui offrir); le vin le délivrera des mythes, lui ôtera de son
intellectualité, l'égalera au prolétaire; par le vin, l'intellectuel s'approche d'une
virilité naturelle, et pense ainsi échapper à la malédiction qu'un siècle et demi de
romantisme continue à faire peser sur la cérébralité pure (on sait que l'un des mythes
propres à l'intellectuel moderne, c'est l'obsession «d'en avoir»).
mais ce qu'il y a de particulier à la france, c'est que le pouvoir de conversion du
vin n'est jamais donné ouvertement comme une fin: d'autres pays boivent pour se saouler,
et cela est dit par tous; en france, l'ivresse est conséquence, jamais finalité; la
boisson est sentie comme l'étalement d'un plaisir, non comme la cause nécessaire d'un
effet recherché: le vin n'est pas seulement philtre, il est aussi acte durable de boire:
le geste a ici une valeur décorative, et le pouvoir du vin n'est jamais séparé de ses
modes d'existence (contrairement au whisky, par exemple, bu pour son ivresse «la plus
agréable, aux suites les moins pénibles», qui s'avale, se répète, et dont le boire se
réduit à un acte-cause).
tout cela est connu, dit mille fois dans le folklore, les proverbes, les conversations
et la littérature. mais cette universalité même comporte un conformisme: croire au vin
est un acte collectif contraignant; le français qui prendrait quelque distance à
l'égard du mythe s'exposerait à des problèmes menus mais précis d'intégration, dont
le premier serait justement d'avoir à s'expliquer. le principe d'universalité joue ici
à plein, en ce sens que la société nomme malade, infirme ou vicieux, quiconque
ne croit pas au vin: elle ne le comprend pas (aux deux sens, intellectuel et
spatial, du terme). a l'opposé, un diplôme de bonne intégration (p. 75)
(p. 76) est décerné à qui pratique le vin: savoir boire est une technique
nationale qui sert à qualifier le français, à prouver à la fois son pouvoir de
performance, son contrôle et sa sociabilité. le vin fonde ainsi une morale collective,
à l'intérieur de quoi tout est racheté: les excès, les malheurs, les crimes sont sans
doute possibles avec le vin, mais nullement la méchanceté, la perfidie ou la laideur; le
mal qu'a peut engendrer est d'ordre fatal, il échappe donc à la pénalisation, c'est un
mal de théâtre, non un mal de tempérament.
le vin est socialisé parce qu'il fonde non seulement une morale, mais aussi un décor;
il orne les cérémoniaux les plus menus de la vie quotidienne française, du
casse-croûte (le gros rouge, le camembert) au festin, de la conversation de bistrot au
discours de banquet. il exalte les climats, quels qu'ils soient, s'associe dans le froid a
tous les mythes du réchauffement, et dans la canicule à toutes les images de l'ombre, du
frais et du piquant. pas une situation de contrainte physique (température, faim, ennui,
servitude, dépaysement) qui ne donne à rêver le vin. combiné comme substance de base
à d'autres figures alimentaires, il peut couvrir tous les espaces et tous les temps du
français. dès q'on atteint un certain détail de la quotidienneté, l'absence de vin
choque comme un exotisme: m. coty, au début de son septennat, s'étant laissé
photographier devant une table intime où la bouteille dumesnil semblait remplacer par
extraordinaire le litron de rouge, la nation entière entra en émoi; c'était aussi
intolérable qu'un roi célibataire. le vin fait ici partie de la raison d'État.
bachelard avait sans doute raison de donner l'eau comme le contraire du vin:
mythiquement, c'est vrai; sociologiquement, du moins aujourd'hui, ce l'est moins; des
circonstances économiques ou historiques ont dévolu ce rôle au lait. c'est maintenant
le véritable anti-vin: et non seulement en raison des initiatives de m. mendès-france
(d'allure volontairement mythologique: lait bu à la tribune comme le spinach de
mathurin), mais aussi parce que, dans la grande morphologie des substances, le lait est
contraire au feu par toute sa densité moléculaire, par la nature (p. 76)
(p. 77) crémeuse, et donc sopitive, de sa nappe; le vin est mutilant, chirurgical il
transmute et accouche; le lait est cosmétique, il lie, recouvre, restaure. de plus, sa
pureté, associée à l'innocence enfantine, est un gage de force, d'une force non
révulsive, non congestive, mais calme, blanche, lucide, tout égale au réel. quelques
films américains, où le héros, dur et pur ne répugnait pas devant un verre de lait
avant de sortir son colt justicier, ont préparé la formation de ce nouveau mythe
parsifalien: aujourd'hui encore, il se boit parfois à paris, dans des milieux de durs ou
de gouapes, un étrange lait-grenadine, venu d'amérique. mais le lait reste une substance
exotique; c'est le vin qui est national.
la mythologie du vin peut nous faire d'ailleurs comprendre l'ambiguïté habituelle de
notre vie quotidienne. car il est vrai que le vin est une belle et bonne substance, mais
il est non moins vrai que sa production participe lourdement du capitalisme français, que
ce soit celui des bouilleurs de cru ou celui des grands colons algériens qui imposent au
musulman, sur la terre même dont on l'a dépossédé, une culture dont il n'a que faire,
lui qui manque de pain. il y a ainsi des mythes fort aimables qui ne sont tout de même
pas innocents. et le propre de notre aliénation présente, c'est précisément que le vin
ne puisse être une substance tout à fait heureuse, sauf à oublier indûment qu'il est
aussi le produit d'une expropriation.
le bifteck et les frites
le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. c'est le coeur de la
viande, c'est la viande à l'état pur, et quiconque en prend, s'assimile la force
taurine. de toute évidence, le prestige du bifteck tient à sa quasi-crudité:(p. 77)
(p. 78)le sang y est visible, naturel, dense, compact et sécable à la fois; on
imagine bien l'ambroisie antique sous cette espèce de matière lourde qui diminue sous la
dent de façon à bien faire sentir dans le même temps sa force d'origine et sa
plasticité à s'épancher dans le sang même de l'homme. le sanguin est la raison d'être
du bifteck: les degrés de sa cuisson sont exprimés, non pas en unités caloriques, mais
en images de sang; le bifteck est saignant (rappelant alors le flot artériel de
l'animal égorgé), ou bleu (et c'est le sang lourd, le sang pléthorique des
veines qui est ici suggéré par le violine, état superlatif du rouge). la cuisson, même
modérée, ne peut s'exprimer franchement; à cet état contre-nature, il faut un
euphémisme: on dit que le bifteck est à point , ce qui est a vrai dire donné
plus comme une limite que comme une perfection.
manger le bifteck saignant représente donc à la fois une nature et une morale. tous
les tempéraments sont censés y trouver leur compte, les sanguins par identité, les
nerveux et les lymphatiques par complément. et de même que le vin devient pour bon
nombre d'intellectuels une substance médiumnique qui les conduit vers la force originelle
de la nature, de même le bifteck est pour eux un aliment de rachat, grâce auquel ils
prosaïsent leur cérébralité et conjurent par le sang et la pulpe molle, la sécheresse
stérile dont sans cesse on les accuse. la vogue du steak tartare, par exemple, est une
opération d'exorcisme contre l'association romantique de la sensibilité et de la
maladivité: il y a dans cette préparation tous les états germinants de la matière: la
purée sanguine et le glaireux de l'oeuf, tout un concert de substances molles et vives,
une sorte de compendium significatif des images de la préparturition.
comme le vin, le bifteck est, en france, élément de base, nationalisé plus encore
que socialisé; il figure dans tous les décors de la vie alimentaire: plat, bordé de
jaune, semelloïde, dans les restaurants bon marché; épais, juteux, dans les bistrots
spécialisés; cubique, le coeur tout humecté sous une légère croûte carbonisée, dans
la haute cuisine; il participe à tous les rythmes, au confortable repas bourgeois (p. 78)
(p. 79) et au casse-croûte bohème du célibataire; c'est la nourriture à la fois
expéditive et dense, il accomplit le meilleur rapport possible entre l'économie et
l'efficacité, la mythologie et la plasticité de sa consommation. de plus, c'est un bien
français (circonscrit, il est vrai, aujourd'hui par l'invasion des steaks américains).
comme pour le vin, pas de contrainte alimentaire qui ne fasse rêver le français de
bifteck. a peine à l'étranger, la nostalgie s'en déclare, le bifteck est ici paré
d'une vertu supplémentaire d'élégance, car dans la complication apparente des cuisines
exotiques, c'est une nourriture qui joint, pense-t-on, la succulence à la simplicité.
national, il suit la cote des valeurs patriotiques: il les renfloue en temps de guerre, il
est la chair même du combattant français, le bien inaliénable qui ne peut passer à
l'ennemi que par trahison. dans un film ancien ( deuxième bureau contre kommandantur
), la bonne du curé patriote offre à manger à l'espion boche déguisé en clandestin
français: «ah, c'est vous, laurent! je vais vous donner de mon bifteck.» et puis, quand
l'espion est démasqué: «et moi qui lui ai donné de mon bifteck!» suprême abus de
confiance.
associé communément aux frites, le bifteck leur transmet son lustre national: la
frite est nostalgique et patriote comme le bifteck. match nous a appris qu'après
l'armistice indochinois, «le général de castries pour son premier repas demanda des
pommes de terre frites.» et le président des anciens combattants d'indochine, commentant
plus tard cette information, ajoutait: «on n'a pas toujours compris la geste du général
de castries demandant pour son premier repas des pommes de terre frites.» ce que l'on
nous demandait de comprendre, c'est que l'appel du général n'était certes pas un
vulgaire réflexe matérialiste, mais un épisode rituel d'approbation de l'ethnie
française retrouvée. le général connaissait bien notre symbolique nationale, il savait
que la frite est le signe alimentaire de la «francité». (p. 79)
cuisine ornementale
le journal elle (véritable trésor mythologique) nous donne à peu près chaque
semaine une belle photographie en couleurs d'un plat monté: perdreaux dorés piqués de
cerises, chaud-froid de poulet rosâtre, timbale d'écrevisses ceinturée de carapaces
rouges, charlotte crémeuse enjolivée de dessins de fruits confits, génoises
multicolores, etc.
dans cette cuisine, la catégorie substantielle qui domine, c'est le nappé: on
s'ingénie visiblement à glacer les surfaces, à les arrondir, a enfouir l'aliment sous
le sédiment lisse des sauces, des crèmes, des fondants et des gelées. cela tient
évidemment à la finalité même du nappé, qui est d'ordre visuel, et la cuisine d'
elle est une pure cuisine de la vue, qui est un sens distingué. il y a en effet dans
cette constance du glacis une exigence de distinction. elle est un journal
précieux, du moins à titre légendaire, son rôle étant de présenter à l'immense
public populaire qui est le sien (p. 128)
(p. 129) (des enquêtes en font foi), le rêve même du chic; d'où une cuisine du
revêtement et de l'alibi, qui s'efforce toujours d'atténuer ou même de travestir la
nature première des aliments, la brutalité des viandes ou l'abrupt des crustacés. le
plat paysan n'est admis qu'à titre exceptionnel (le bon pot-au-feu des familles), comme
la fantaisie rurale de citadins blasés.
mais surtout, le nappé prépare et supporte l'un des développements majeurs de la
cuisine distinguée: l'ornementation. les glacis d' elle servent de fonds à des
enjolivures effrénées: champignons ciselés, ponctuation de cerises, motifs au citron
ouvragé, épluchures de truffes, pastilles d'argent, arabesques de fruits confits, la
nappe sous-jacente (c'est pour cela que je l'appelais sédiment, l'aliment lui-même
n'étant plus qu'un gisement incertain) veut être la page où se lit toute une cuisine en
rocaille (le rosâtre est la couleur de prédilection).
l'ornementation procède par deux voies contradictoires, dont on va voir à l'instant
la résolution dialectique: d'une part fuir la nature grâce à une sorte de baroque
délirant (piquer des crevettes dans un citron, rosir un poulet, servir des pamplemousses
chauds), et d'autre part essayer de la reconstituer par un artifice saugrenu (disposer des
champignons meringués et des feuilles de houx sur une bûche de noël, replacer des
têtes d'écrevisses autour de la béchamel sophistiquée qui en cache les corps). c'est
ce même mouvement que l'on retrouve d'ailleurs dans l'élaboration des colifichets
petits-bourgeois (cendriers en selles de cavalier, briquets en forme de cigarettes,
terrines en corps de lièvres).
c'est qu'ici, comme dans tout art petit-bourgeois, l'irrépressible tendance au
vérisme est contrariée - ou équilibrée - par l'un des impératifs constants du
journalisme domestique: ce qu'à l'express on appelle glorieusement avoir des
idées . la cuisine d' elle est de la même façon une cuisine à «idées».
seulement, ici, l'invention, confinée a une réalité féerique, doit porter uniquement
sur la garniture , car la vocation «distinguée» du journal lui interdit (p. 129)
(p. 130) d'aborder les problèmes réels de l'alimentation (le problème réel n'est
pas de trouver à piquer des cerises dans un perdreau, c'est de trouver le perdreau,
c'est-à-dire de le payer).
cette cuisine ornementale est effectivement supportée par une économie tout à fait
mythique. il s'agit ouvertement d'une cuisine de rêve, comme en font foi d'ailleurs les
photographies d' elle , qui ne saisissent le plat qu'en survol, comme un objet à
la fois proche et inaccessible, dont la consommation peut très bien être épuisée par
le seul regard. c'est, au sens plein du mot, une cuisine d'affiche, totalement magique,
surtout si l'on se rappelle que ce journal se lit beaucoup dans des milieux à faibles
revenus. ceci explique d'ailleurs cela: c'est parce qu' elle s'adresse à un public
vraiment populaire qu'elle prend bien soin de ne pas postuler une cuisine économique.
voyez l'express , au contraire, dont le public exclusivement bourgeois est doté
d'un pouvoir d'achat confortable: sa cuisine est réelle, non magique; elle donne
la recette des perdreaux-fantaisie, l'express , celle de la salade niçoise. le
public d' elle n'a droit qu'à la fable, à celui de l'express on peut
proposer des plats réels, assuré qu'il pourra les confectionner.
astrologie
il paraît qu'en france, le budget annuel de la «sorcellerie» est d'environ trois
cent milliards de francs. cela vaut la peine de jeter un coup d'oeil sur la semaine
astrologique (p. 165)
(p. 166) d'un hebdomadaire comme elle , par exemple. contrairement à ce que
l'on pourrait en attendre, on n'y trouve nul monde onirique, mais plutôt une description
étroitement réaliste d'un milieu social précis, celui des lectrices du journal.
autrement dit, l'astrologie n'est nullement - du moins ici - ouverture au rêve, elle est
pur miroir, pure institution de la réalité.
les rubriques principales du destin ( chance, au-dehors, chez vous, votre coeur
) produisent scrupuleusement le rythme total de la vie laborieuse. l'unité en est la
semaine, dans laquelle la «chance» désigne un jour ou deux. la «chance», c'est ici la
part réservée de l'intériorité, de l'humeur; elle est le signe vécu de la durée, la
seul catégorie par laquelle le temps subjectif s'exprime et se libère. pour le reste,
les astres ne connaissent rien d'autre qu'un emploi du temps: au-dehors , c'est
l'horaire professionnel, les six jours de la semaine, les sept heures par jour de bureau
ou de magasin. chez vous , c'est le repas du soir, le bout de soirée avant de se
coucher. votre coeur , c'est le rendez-vous à la sortie du travail ou l'aventure
du dimanche. mais entre ces «domaines», aucune communication: rien qui, d'un horaire à
l'autre puisse - suggérer l'idée d'une aliénation totale; les prisons sont contiguës,
elles se relaient mais ne se contaminent pas. les astres ne postulent jamais un
renversement de l'ordre, ils influencent à la petite semaine, respectueux du statut
social et des horaires patronaux.
ici, le «travail» est celui d'employées, de dactylos ou de vendeuses; le microgroupe
qui entoure la lectrice est à peu près fatalement celui du bureau ou du magasin. les
variations imposées, ou plutôt proposées par les astres (car cette astrologie est
théologienne prudente, elle n'exclut pas le libre arbitre) sont faibles, elles ne tendent
jamais à bouleverser une vie: le poids du destin s'exerce uniquement sur le goût au
travail, l'énervement ou l'aisance, l'assiduité ou le relâchement, les petits
déplacements. les vagues promotions, les rapports d'aigreur ou de complicité avec les
collègues et surtout la fatigue, les astres prescrivant avec (p. 166)
(p. 167) beaucoup d'insistance et de sagesse de, dormir plus, toujours plus.
le foyer, lui, est dominé par des problèmes d'humeur, d'hostilité ou de confiance du
milieu il s'agit bien souvent d'un foyer de femmes, où les rapports les plus importants
sont ceux de la mère et de la fille. la maison petite-bourgeoise est ici fidèlement
présente, avec les visites de la «famille», distincte d'ailleurs des «parents par
alliance», que les étoiles ne paraissent pas tenir en très haute estime. cet entourage
semble à peu près exclusivement familial, il y a peu d'allusions aux amis, le monde
petit-bourgeois est essentiellement constitué de parents et de collègues, il ne comporte
pas de véritables crises relationnelles, seulement de petits affrontements d'humeur et de
vanité. l'amour, c'est celui du courrier du coeur; c'est un «domaine» bien à part,
celui des «affaires» sentimentales. mais tout comme la transaction commerciale, l'amour
connaît ici des «débuts prometteurs», des «mécomptes» et de «mauvais choix». le
malheur y est de faible amplitude: telle semaine, un cortège d'admirateurs moins
nombreux, une indiscrétion, une jalousie sans fondement. le ciel sentimental ne s'ouvre
vraiment grand que devant la «solution tant souhaité», le mariage: encore faut-il qu'il
soit «assorti».
un seul trait idéalise tout ce petit monde astral, fort concret d'un autre côté,
c'est qu'il n'y est jamais question d'argent. l'humanité astrologique roule sur son
salaire mensuel: est ce qu'il est, on n'en parle jamais, puisqu'il permet la «vie». vie
que les astres décrivent beaucoup plus qu'ils ne la prédisent; l'avenir est rarement
risqué, et la prédiction toujours neutralisée par le balancement des possibles: s'il y
a des échecs, ils seront peu importants, s'il y a des visages rembrunis, votre belle
humeur les déridera, des relations ennuyeuses, elles seront utiles, etc.; et si votre
état général doit s'améliorer, ce sera à la suite d'un traitement que vous aurez
suivi, ou peut-être aussi grâce à l'absence de tout traitement ( sic ).
les astres sont moraux, ils acceptent de se laisser fléchir (p. 167)
(p. 168) par la vertu: le courage, la patience, la bonne humeur, le face aux mécomptes
timidement annoncés. et le paradoxe, c'est que cet univers du pur déterminisme est tout
de suite dompté par la liberté du caractère: l'astrologie est avant tout une école de
volonté. pourtant, même si les issues en sont de pure mystification, même si les
problèmes de conduite y sont escamotés, elle reste institution du réel devant la
conscience de ses lectrices: elle n'est pas voie d évasion mais évidence réaliste des
conditions de vie de l'employée, de la vendeuse.
a quoi donc peut-elle servir, cette pure description, puisqu'elle ne semble comporter
aucune compensation onirique? elle sert à exorciser le réel en le nommant. a ce titre,
elle prend place parmi toutes les entreprises de semi-aliénation (ou de semi-
libération) qui se donnent à tâche d'objectiver le réel, sans pourtant aller jusqu'à
le démystifier. on connaît bien au moins une autre de ces tentatives nominalistes: la
littérature, qui, dans ses formes dégradées, ne peut aller plus loin que nommer le
vécu; astrologie et littérature ont la même tâche d'institution «retardée» du
réel: l'astrologie est la littérature du monde petit-bourgeois.
le mythe comme système sémiologique
comme étude d'une parole, la mythologie n'est en effet qu'un fragment de cette vaste
science des signes que saussure a postulée il y a une quarantaine d'années sous le nom
de sémiologie. la sémiologie n'est pas encore constituée. pourtant, depuis saussure
même et parfois indépendamment de lui, toute une partie de la recherche contemporaine
revient sans cesse au problème de la signification: la psychanalyse, le structuralisme.
la psychologie eidétique, certaines tentatives nouvelles de critique littéraire dont
bachelard(p. 195)
(p. 196) a donné l'exemple, ne veulent plus étudier le fait qu'en tant qu'il
signifie. or postuler une signification, c'est recourir à la sémiologie. je ne veux pas
dire que la sémiologie rendrait également compte de toutes ces recherches: elles ont des
contenus différents. mais elles ont un statut commun, elles sont toutes sciences des
valeurs; elles ne se contentent pas de rencontrer le fait: elles le définissent et
l'explorent comme un valant-pour .
la sémiologie est une science des formes, puisqu'elle étudie des significations
indépendamment de leur contenu. je voudrais dire un mot de la nécessité et des limites
d'une telle science formelle. la nécessité, c'est celle-là même de tout langage exact.
jdanov se moquait du philosophe alexandrov, qui parlait de «la structure sphérique de
notre planète». «il semblait jusqu'ici, dit jdanov, que seule la forme pouvait être
sphérique.» jdanov avait raison: on ne peut parler de structures en termes de formes, et
réciproquement. il se peut bien que sur le plan de la «vie», il n'y ait qu'une
totalité indiscernable de structures et de formes. mais la science n'a que faire de
l'ineffable: il lui faut parler la «vie», si elle veut la transformer. contre un certain
don-quichottisme, d'ailleurs, hélas, platonique, de la synthèse, toute critique doit
consentir à l'ascèse, à l'artifice de l'analyse, et dans l'analyse, elle doit
approprier les méthodes et les langages. moins terrorisée par le spectre du
«formalisme», la critique historique eût été peut-être moins stérile; elle eût
compris que l'étude spécifique des formes ne contredit en rien aux principes
nécessaires de la totalité et de l'histoire. bien au contraire: plus un système est
spécifiquement défini dans ses formes, et plus il est docile à la critique historique.
parodiant un mot connu, je dirai qu'un peu de formalisme éloignè dé l'histoire, mais
que beaucoup y ramène. y a-t-il meilleur exemple d'une critique totale, que la
description à la fois formelle et historique, sémiologique et idéologique, de la
sainteté, dans le saint-genet de sartre? le danger, c'est au contraire de
considérer les formes comme des objets ambigus, mi-formes et mi-substances, de douer la
forme d'une substance de (p. 196)
(p. 197) forme, comme l'a fait par exemple le réalisme jdanovien. la sémiologie,
posée dans ses limites, n'est pas un piège métaphysique: elle est une science parmi
d'autres, nécessaire mais non suffisante. l'important, c'est de voir que l'unité d'une
explication ne peut tenir à l'amputation de telle ou telle de ses approches, mais,
conformément au mot d'engels, à la coordination dialectique des sciences spéciales qui
y sont engagées. il en va ainsi de la mythologie: elle fait partie à la fois de la
sémiologie comme science formelle et de l'idéologie comme science historique: elle
étudie des idées-en-forme(1).
je rappellerai donc que toute sémiologie postule un rapport entre deux termes, un
signifiant et un signifié. ce rapport porte sur des objets d'ordre différent, et c'est
pour cela qu'il n'est pas une égalité mais une équivalence. il faut ici prendre garde
que contrairement au langage commun qui me dit simplement que le signifiant exprime
le signifié, j'ai affaire dans tout système sémiologique non à deux, mais à trois
termes différents; car ce que je saisis, ce n'est nullement un terme, l'un après
l'autre, mais la corrélation qui les unit: il y a donc le signifiant, le signifié et le
signe, qui est le total associatif des deux premiers termes. soit un bouquet de roses: je
lui fais signifier ma passion. n'y a-t-il donc ici qu'un signifiant et un
signifié, les roses et ma passion ? même pas: à dire vrai, il n'y a ici que des roses
«passionnalisées». mais sur le plan de l'analyse, il y a bien trois termes; car ces
roses chargées de passion se laissent parfaitement et justement décomposer en roses et
en passion: les unes et l'autre existaient avant de se joindre et de (p. 197)
(p. 198) former ce troisième objet, qui est le signe. autant, il est vrai, sur le plan
vécu, je ne puis dissocier les roses du message qu'elles portent, autant, sur le plan de
l'analyse, je puis confondre les roses comme signifiant et les roses comme signe: le
signifiant est vide, le signe est plein, il est un sens. soit encore un caillou noir: je
puis le faire signifier de plusieurs façons, c'est un simple signifiant; mais si je le
charge d'un signifié définitif (condamnation à mort, par exemple, dans un vote
anonyme), il deviendra un signe. naturellement, il y a entre le signifiant, le signifié
et le signe, des implications fonctionnelles (comme de la partie au tout) si étroites que
l'analyse peut en paraître vaine; mais on verra à l'instant que cette distinction a une
importance capitale pour l'étude du mythe comme schème sémiologique.
naturellement, ces trois termes sont purement formels, et on peut leur donner des
contenus différents. voici quelques exemples: pour saussure, qui a travaillé sur un
système sémiologique particulier, mais méthodologiquement exemplaire, la langue, le
signifié, c'est le concept, le signifiant, c'est l'image acoustique (d'ordre psychique)
et le rapport du concept et de l'image, c'est le signe (le mot, par exemple), ou entité
concrète(2). pour freud, on le sait, le psychisme est une épaisseur d'équivalences, de valant-pour
. un terme (je m'abstiens de lui donner une précellence) est constitué par le sens
manifeste de la conduite, un autre par son sens latent ou sens propre (c'est par exemple
le substrat du rêve); quant au troisième terme, il est ici aussi une corrélation des
deux premiers: c'est le rêve lui-même, dans sa totalité, l'acte manqué ou la nèvrose,
conçus comme des compromis, des économies opérées grâce à la jonction d'une forme
(premier terme) et d'une fonction intentionnelle (second terme). on voit ici combien il
est nécessaire de distinguer le signe du signifiant: le rêve, pour freud, n'est pas plus
son donné manifeste que son contenu latent, il est (p. 198)
(p. 199) la liaison fonctionnelle des deux termes. dans la critique sartrienne enfin
(je me bornerai à ces trois exemples connus), le signifié est constitué par la crise
originelle du sujet (la séparation loin de la mère chez baudelaire, la nomination du vol
chez genet); la littérature comme discours forme le signifiant; et le rapport de la crise
et du discours définit l'oeuvre, qui est une signification. naturellement, ce schéma
tridimensionnel, pour constant qu'il soit dans sa forme, ne s'accomplit pas de la même
façon: on ne saurait donc trop répéter que la sémiologie ne peut avoir d'unité qu'au
niveau des formes, non des contenus; son champ est limité, elle ne porte que sur un
langage, elle ne connaît qu'une seule opération: la lecture ou le déchiffrement.
on retrouve dans le mythe le schéma tridimensionnel dont je viens de parier: le
signifiant, le signifié et le signe. mais le mythe est un système particulier en ceci
qu'il s'édifie à partir d'une chaîne sémiologique qui existe avant lui: c'est un
système sémiologique second . ce qui est signe (c'est-à-dire total associatif d'un
concept et d'une image) dans le premier système, devient simple signifiant dans le
second. il faut ici rappeler que les matières de la parole mythique (langue proprement
dite, photographie, peinture, affiche, rite, objet, etc.), pour différentes qu'elles
soient au départ, et dès lors qu'elles sont saisies par le mythe, se ramènent à une
pure fonction signifiante: le mythe ne voit en elles qu'une même matière première; leur
unité, c'est qu'elles sont réduites toutes au simple statut de langage. qu'il s'agisse
de graphie littérale ou de graphie picturale, le mythe ne veut voir là qu'un total de
signes, qu'un signe global, le terme final d'une première chaîne sémiologique. et c'est
précisément ce terme final qui va devenir premier terme ou terme partiel du système
agrandi qu'il édifie. tout se passe comme si le mythe décalait d'un cran le système
formel des premières significations. comme cette translation est capitale pour l'analyse
du mythe, je la représenterai de la façon suivante, étant bien entendu que la
spatialisation du schéma n'est ici qu'une simple métaphore:
illustration - format to be corrected - check table in book
langue
mythe
i. signifiant
2. signifié
3. signe
i. signifiant
ii. signifiÉ
iii. signe
on le voit, il y a dans le mythe deux systèmes sémiologiques, dont l'un est
déboîté par rapport à l'autre: un système linguistique, la langue (ou les modes de
représentation qui lui sont assimilés), que j'appellerai langage-objet, parce qu'il est
le langage dont le mythe se saisit pour construire son propre système; et le mythe
lui-même, que j'appellerai méta-langage, parce qu'il est une seconde langue, dans
laquelle on parle de la première. réfléchissant sur un méta-langage, le sémiologue
n'a plus à s'interroger sur la composition du langage-objet, il n'a plus à tenir compte
du détail du schème linguistique: il n'aura à en connaître que le terme total ou signe
global, et dans la mesure seulement où ce terme va se prêter au mythe. voilà pourquoi
le sémiologue est fondé a traiter de la même façon l'écriture et l'image: ce qu'il
retient d'elles, c'est qu'elles sont toutes deux des signes, elles arrivent au seuil du
mythe, douées de la même fonction signifiante, elles constituent l'une et l'autre un
langage-objet.il est temps de donner un ou deux exemples de parole mythique. j'emprunterai
le premier à une remarque de valéry(3): je suis élève de cinquième dans un lycée
français; j'ouvre ma grammaire latine, et j'y lis une phrase, empruntée à esope ou à
phèdre: quia ego nominor leo . je m'arrête et je réfléchis: il y a une
ambiguïté dans cette (p. 200)
(p. 201) proposition. d'une part, les mots y ont bien un sens simple: car moi je
m'appelle lion . et d'autre part, la phrase est là manifestement pour me signifier
autre chose dans la mesure où elle s'adresse a moi, élève de cinquième, elle me dit
clairement: je suis un exemple de grammaire destiné à illustrer la règle d'accord de
l'attribut. je suis même obligé de reconnaître que la phrase ne me signifie
nullement son sens, elle cherche fort peu à me parler du lion et de la façon dont il se
nomme; sa signification véritable et dernière, c'est de s'imposer à moi comme présence
d'un certain accord de l'attribut. je conclus que je suis devant un système sémiologique
particulier, agrandi, puisqu'il est extensif à la langue: il ya bien un signifiant, mais
ce signifiant est lui-même formé par un total de signes, il est à lui seul un premier
système sémiologique ( je m'appelle lion ). pour le reste, le schème formel se
déroule correctement: il y a un signifié ( je suis un exemple de grammaire ) et
il y a une signification globale, qui n'est rien d'autre que la corrélation du signifiant
et du signifié; car ni la dénomination du lion, ni l'exemple de grammaire n me sont
donnés séparément.
et voici maintenant un autre exemple: je suis chez le coiffeur, on me tend un numéro
de paris-match . sur la couverture, un jeune negre vêtu d'un uniforme français
fait le salut militaire, les yeux levés, fixés sans doute sur un pli du drapeau
tricolore. cela, c'est le sens de l'image. mais, naïf ou pas, je vois bien ce
qu'elle me signifie: que la france est un grand empire, que tous ses fils, sans
distinction de couleur, servent fidèlement sous son drapeau, et qu'il n'est de meilleure
réponse aux détracteurs d'un colonialisme prétendu, que le zèle de ce noir à servir
ses prétendus oppresseurs. je me trouve donc, ici encore, devant un système
sémiologique majoré: il y a un signifiant, formé lui-même, déjà, d'un système
préalable ( un soldat noir fait le salut militaire français ); il y a un
signifié (c'est ici un mélange intentionnel de francité et de militarité); il y a
enfin une présence du signifié à travers le signifiant.
avant de passer à l'analyse de chaque terme du système (p. 201)
(p. 202) mythique, il convient de s'entendre sur une terminologie. on le sait,
maintenant, le signifiant peut être envisagé, dans le mythe, de deux points de vue:
comme terme final du système linguistique ou comme terme initial du système mythique: il
faut donc ici deux noms: sur le plan de la langue, c'est-à-dire comme terme final du
premier système, j'appellerai le signifiant: sens ( je m'appelle lion, un
nègre fait le salut militaire français ); sur le plan du mythe, je l'appellerai: forme
. pour le signifié, il n'y a pas d'ambiguïté possible: nous lui laisserons le nom de concept
. le troisième terme est la corrélation des deux premiers: dans le système de la
langue, c'est le signe ; mais il n'est pas possible de reprendre ce mot sans
ambiguïté, puisque, dans le mythe (et c'est là sa particularité, principale), le
signifiant est déjà formé des signes de la langue. j'appellerai le troisième
ter-me du mythe, la signification : le mot est ici d'autant mieux justifié que le
mythe a effectivement une double fonction: il désigne et il notifie, il fait comprendre
et il impose.
footnotes
to le mythe comme système sémiologique
1. le développement de la publicité, de la grande presse, de la radio, de
l'illustration, sans parler de la survivance d'une infinité de rites communicatifs (rites
du paraître social) rend plus urgente que jamais la constitution d'une science
sémiologique. combien, dans une journée, de champs véritablement insignifiants
parcourons-nous? bien peu, parfois aucun. je suis là, devant la mer: sans doute, elle ne
porte aucun message. mais sur la plage, quel matériel sémiologique! des drapeaux, des
slogans, des panonceaux, des vêtements, une bruniture même, qui me sont autant de
messages.
2. la notion de mot est l'une des plus discutées en linguistique. je la garde,
pour simplifier.
3. tel quel . ii, p. 191.
lecture et déchiffrement du mythe
comment le mythe est-il reçu? il faut ici revenir une fois de plus à la duplicité de
son signifiant, à la fois sens et (p. 213)
(p. 214) forme. selon que j'accommoderai sur l'un ou sur l'autre ou sur les deux à la
fois. je produirai trois types différents de lecture (1).
1. si j'accommode sur un signifiant vide je laisse le concept emplir la forme du mythe,
sans ambiguïté, et je me retrouve devant un système simple, où la signification
redevient littérale: le nègre qui salue est un exemple de l'impérialité
française, il en est le symbole . cette manière d'accommoder est celle, par
exemple, du producteur de mythe, du rédacteur de presse qui part d'un concept et lui
cherche une forme(2).
2. si j'accommode sur un signifiant plein, dans lequel je distingue nettement le sens
de la forme, et partant la déformation que l'une fait subir à l'autre, je défais la
signification du mythe, je le reçois comme une imposture: le nègre qui salue devient l'
alibi de l'impérialité française. ce type d'accommodation est celui du mythologue:
il déchiffre le mythe, il comprend une déformation.
3. enfin si j'accommode sur le signifiant du mythe comme sur un tout inextricable de
sens et de forme, je reçois une signification ambiguë: je réponds au mécanisme
constitutif du mythe, à sa dynamique propre, je deviens le lecteur du mythe: le nègre
qui salue n'est plus ni exemple, ni symbole, encore moins alibi: il est la présence
même de l'impérialité française.
les deux premières accommodations sont d'ordre statique, analytique; elles détruisent
le mythe, soit en affichant son intention, soit en la démasquant: la première est
cynique, la seconde est démystifiante. la troisième accommodation est dynamique, elle
consomme le mythe selon les (p. 214)
(p. 215) fins même de sa structure: le lecteur vit le mythe à la façon d'une
histoire à la fois vraie et irréelle.
si l'on veut rattacher le schème mythique à une histoire générale, expliquer
comment il répond à l'intérêt d'une société définie, bref passer de la sémiologie
à l'idéologie, c'est évidemment au niveau de la troisième accommodation qu'il faut se
placer: c'est le lecteur de mythes lui-même qui doit en révéler la fonction
essentielle. comment, aujourd'hui , reçoit-il le mythe? s'il le reçoit d'une
façon innocente, quel intérêt y a-t-il à le lui proposer? et s'il le lit d une façon
réfléchie, comme le mythologue, qu'importe l'alibi présenté? si le lecteur de mythe ne
voit pas dans le nègre saluant, l'impérialité française, il était inutile de l'en
charger et s'il la voit, le mythe n'est rien d'autre qu'une proposition politique
loyalement énoncée. en un mot, ou bien l'intention du mythe est trop obscure pour être
efficace, ou bien elle est trop claire pour être crue. dans les deux cas, où est
l'ambiguïté?
ceci n'est qu'une fausse alternative. le mythe ne cache rien et il n'affiche rien: il
déforme; le mythe n'est ni un mensonge ni un aveu: c'est une inflexion. placé devant
l'alternative dont je parlais à l'instant, le mythe trouve une troisième issue. menacé
de disparaître s'il cède à l'une ou l'autre des deux premières accommodations, il s'en
tire par un compromis, il est ce compromis: chargé de «faire passer» un concept
intentionnel, le mythe ne rencontre dans le langage que trahison, car le langage ne peut
qu'effacer le concept s'il le cache ou le démasquer s'il le dit. l'élaboration d'un second
système sémiologique va permettre au mythe d'échapper au dilemme: acculé à dévoiler
ou à liquider le concept, il va le naturaliser .
nous sommes ici au principe même du mythe: il transforme l'histoire en nature. on
comprend maintenant pourquoi, aux yeux du consommateur de mythes , l'intention,
l'adhomination du concept peut rester manifeste sans parâtre pourtant intéressé: la
cause qui fait proférer la parole mythique est parfaitement explicite, mais elle est
aussitôt transie dans une nature; elle n'est pas lue comme (p. 215)
(p. 216) mobile, mais comme raison. si je lis le nègre-saluant comme symbole pur et
simple de l'impérialité, il me faut renoncer à la réalité de l'image, elle se
discrédite à mes yeux en devenant instrument. a l'inverse, si je déchiffre le salut du
nègre comme alibi de la colonialité, j'anéantis encore plus sûrement le mythe sous
l'évidence de son mobile. mais pour le lecteur de mythe, l'issue est toute différente:
tout se passe comme si l'image provoquait naturellement le concept, comme si le
signifiant fondait le signifié: le mythe existe à partir du moment précis où
l'impérialité française passe à l'état de nature: le mythe est une, parole excessivement
justifiée.
voici un nouvel exemple qui fera comprendre clairement comment le lecteur de mythe en
vient à rationaliser le signifié par le signifiant. nous sommes en juillet, je lis en
gros titre dans france-soir :prix: premier flÉchissement. lÉgumes: la baisse est
amorcÉe. Établissons rapidement le schème sémiologique: l'exemple est une phrase, le
premier système est purement linguistique. le signifiant du second système est ici
constitué par un certain nombre d'accidents lexicaux (les mots: premier, amorcé, la
[baisse]), ou typographiques: d'énormes lettres en manchette, là où le lecteur reçoit
ordinairement les nouvelles capitales du monde. le signifié ou concept, c'est ce qu'il
faut bien appeler d'un néologisme barbare mais inévitable: la gouvernementalité
, le gouvernement conçu par la grande presse comme essence d'efficacité- la
signification du mythe s'ensuit clairement: fruits et légumes baissent parce que
le gouvernement l'a décidé. or il se trouve, cas somme toute assez rare, que le journal
lui-même, soit assurance, soit honnêteté, a démonté deux lignes plus bas, le mythe
qu'il venait d'élaborer; il ajoute (il est vrai, en caractères modestes): «la baisse
est facilitée par le retour à l'abondance saisonnière.» cet exemple est instructif
pour deux raisons. d'abord on y voit à plein le caractère impression du mythe: ce qu'on
attend de lui, c'est un effet immédiat: peu importe si le mythe est ensuite démonté,
son action est présumée plus forte que les explications (p. 216)
(p. 217) rationnelles qui peuvent un peu plus tard le démentir. ceci veut dire que la
lecture du mythe s'épuise tout d'un coup. je jette en courant un coup d,oeil sur le france-soir
de mon voisin: je n'y cueille qu'un sens, mais j'y lis une signification véritable: je reçois
la présence de l'action gouvernementale dans la baisse des fruits et des légumes. c'est
tout, cela suffit. une lecture plus appuyée du mythe n'en augmentera nullement ni la
puissance ni l'échec: le mythe est à la fois imperfectible et indiscutable: le temps ni
le savoir ne lui ajouteront rien, ne lui enlèveront rien. et puis, la naturalisation du
concept, que je viens de donner pour la fonction essentielle du mythe, est ici exemplaire:
dans un système premier (exclusivement linguistique), la causalité serait, à la lettre,
naturelle: fruits et légumes baissent parce que c'est la saison. dans le système second
(mythique), la causalité est artificielle, fausse, mais elle se glisse en quelque sorte
dans les fourgons de la nature. c'est pour cela que le mythe est vécu comme une parole
innocente: non parce que ses intentions sont cachées: si elles étaient cachées, elles
ne pourraient être efficaces; mais parce qu'elles sont naturalisées.
en fait, ce qui permet au lecteur de consommer le mythe innocemment, c'est qu'il ne
voit pas en lui un système sémiologique, mais un système inductif: là où il n'y a
qu'une équivalence, il voit une sorte de procès causal: le signifiant et le signifié
ont, à ses yeux, des rapports de nature. on peut exprimer cette confusion autrement: tout
système sémiologique est un système de valeurs; or le consommateur du mythe prend la
signification pour un système de faits: le mythe est lu comme un système factuel alors
qu'il n'est qu'un système sémiologique.
footnotes
to lecture et déchiffrement du mythe
1. la liberté de l'accommodation est un problème qui ne relève pas de la
sémiologie: elle dépend de la situation concrète du sujet.
2. nous recevons la dénomination du lion comme un pur exemple de grammaire
latine, parce que nous sommes, en tant que grandes personnes , dans une position de
création à son égard. je reviendrai plus tard sur la valeur du contexte dans ce schème
mythique.
le mythe, a droite
statistiquement, le mythe est à droite. là, il est essentiel: bien nourri, luisant,
expansif, bavard, il s'invite sans cesse. il saisit tout: les justices, les morales, les
esthétiques, les diplomaties, les arts ménagers, la littérature, les spectacles. son
expansion a la mesure même de l'ex-nomination bourgeoise. la bourgeoisie veut conserver
l'être sans le paraître: c'est donc la négativité même du paraître bourgeois infinie
comme toute négativité, qui sollicite infiniment (p. 236)
(p. 237) le mythe. l'opprimé n'est rien, il n'a en lui qu'une parole, celle de son
émancipation; l'oppresseur est tout, sa parole est riche, multiforme, souple, disposant
de tous les degrés possibles de dignité: il a l'exclusivité du métalangage. l'opprimé
fait le monde, il n'a qu'un langage actif, transitif (politique); l'oppresseur le
conserve, sa parole est plénière, intransitive, gestuelle, théâtrale: c'est le mythe;
le langage de l'un vise à transformer, le langage de l'autre vise à éterniser.
cette plénitude des mythes de l'ordre (c'est ainsi que la bourgeoisie se nomme
elle-même) comporte-t-elle des différences intérieures? y a-t-il, par exemple, des
mythes bourgeois et des mythes petit-bourgeois? il ne peut y avoir de différences
fondamentales, car quel que soit le public qui le consomme, le mythe postule l'immobilité
de la nature. mais il peut y avoir des degrés d'accomplissement ou d'expansion: certains
mythes mûrissent mieux dans certaines zones sociales; pour le mythe aussi, il y a des
microclimats.
le mythe de l'enfance-poète, par exemple, est un mythe bourgeois avancé : il
sort à peine de la culture inventive (cocteau par exemple) et ne fait qu'aborder sa
culture consommée ( l'express ): une part de la bourgeoisie peut encore le trouver
trop inventé, trop peu mythique pour se reconnaître le droit de le consacrer (toute une
partie de la critique bourgeoise ne travaille qu'avec des matériaux dûment mythiques):
c'est un mythe qui n'est pas encore bien rodé, il ne contient pas encore assez de nature
: pour faire de l'enfant-poète l'élément d'une cosmogonie, il faut renoncer au prodige
(mozart, rimbaud, etc.), et accepter des normes nouvelles, celles de la psychopédagogie,
du freudisme, etc.: c'est un mythe encore vert.
chaque mythe peut ainsi comporter son histoire et sa géographie: l'une est d'ailleurs
le signe de l'autre; un mythe mûrit parce qu'il s'étend. je n'ai pu faire aucune étude
véritable sur la géographie sociale des mythes. mais il est très possible de tracer ce
que les linguistes appelleraient les isoglosses d'un mythe, les lignes qui définissent
(p. 237)
(p. 238) le lieu social où il est parlé. comme ce lieu est mouvant, il vaudrait mieux
parler des ondes d'implantation du mythe. le mythe minou drouet a ainsi connu au moins
trois ondes amplifiantes: 1) l'express ; 2) paris-match, elle ; 3) france-soir
. certains mythes oscillent: passeront-ils dans la grande presse, chez le rentier de
banlieue, dans les salons de coiffure, dans le métro? la géographie sociale des mythes
restera difficile à établir tant qu'il nous manquera une sociologie analytique de la
presse(1)1 . mais on peut dire que sa place existe déjà.
faute de pouvoir encore établir les formes dialectales du mythe bourgeois, on peut
toujours esquisser ses formes rhétoriques. il faut entendre ici par rhétorique un
ensemble de figures fixes, réglées, insistantes, dans lesquelles viennent se ranger les
formes variées du signifiant mythique. ces figures sont transparentes, en ceci qu'elles
ne troublent pas la plasticité du signifiant; mais elles sont déjà suffisamment
conceptualisées pour s'adapter à une représentation historique du monde (tout comme la
rhétorique classique peut rendre compte d'une représentation de type aristotélicien).
c'est par leur rhétorique que les mythes bourgeois dessinent la perspective générale de
cette pseudo-physis, qui définit le rêve du monde bourgeois contemporain. en voici les
principales figures
1. la vaccine . j'ai déjà donné des exemples de cette figure très
générale, qui consiste à confesser le mal accidentel d'une institution de classe pour
mieux en masquer le mal principiel. on immunise l'imaginaire collectif par une petite
inoculation de mal reconnu; on le défend ainsi contre le risque d'une subversion
généralisée. ce traitement (p. 238)
(p. 239) libéral n'eût pas été possible, il y a seulement cent ans; à ce
moment-là, le bien bourgeois ne composait pas, il était tout raide; il s'est beaucoup
assoupli depuis: la bourgeoisie n'hésite plus à reconnaître quelques subversions
localisées: l'avant-garde, l'irrationnel enfantin, etc.; elle vit désormais dans une
économie de compensation: comme dans toute société anonyme bien faite, les petites
parts compensent juridiquement (mais non réellement) les grosses parts.
2. la privation d'histoire . le mythe prive l'objet dont il parle de toute
histoire(2) en lui, l'histoire s'évapore; c'est une sorte de domestique idéale: elle
apprête, apporte, dispose, le maître arrive, elle disparaît silencieusement: il n'y a
plus qu'à jouir sans se demander d'ou vient ce bel objet. ou mieux: il ne peut venir que
de l'éternité: de tout temps il était fait pour l'homme bourgeois, de tout temps,
l'espagne du guide bleu était faite pour le touriste, de tout temps, les
«primitifs» ont préparé leurs danses en vue d'une réjouissance exotique. on voit tout
ce que cette figure heureuse fait disparaître de gênant: à la fois le déterminisme et
la liberté. rien n'est produit, rien n'est choisi: il n'y a plus qu'à posséder ces
objets neufs, dont on a fait disparaître toute trace salissante d'origine ou de choix.
cette évaporation miraculeuse de l'histoire est une autre forme d'un concept commun à la
plupart des mythes bourgeois: l'irresponsabilité de l'homme.
3. l'identification . le petit-bourgeois est un homme impuissant à imaginer
l'autre(3). si l'autre se présente à sa vue, le petit-bourgeois s'aveugle, l'ignore et
le nie, ou bien il le transforme en lui-même. dans l'univers petit-bourgeois, tous les
faits de confrontation sont des faits réverbérants, (p. 239)
(p. 240) tout autre est réduit au même. les spectacles, les tribunaux, lieux où
risque de s'exposer l'autre, deviennent miroir. c'est que l'autre est un scandale qui
attente à l'essence. dominici, gérard dupriez ne peuvent accédera l'existence sociale
que s'ils sont préalablement réduits à l'état de petits simulacres du président des
assises, du procureur général: c'est le prix qu'il faut mettre pour les condamner en
toute justice, puisque la justice est une opération de balance, et que la balance ne peut
peser que le même et le même. il y a dans toute conscience petite-bourgeoisie de petits
simulacres du voyou, du parricide, du pédéraste, etc., que périodiquement le corps
judiciaire extrait de sa cervelle, pose sur le banc d'accusé, gourmande et condamne: on
ne juge jamais que des analogues dévoyés : question de route, non de nature, car l'homme
est ainsi fait . parfois - rarement - l'autre se dévoile irréductible: non par un
scrupule soudain, mais parce que le bon sens s'y oppose: tel n'a pas la peau
blanche, mais noire, tel autre boit du jus de poire et non du pernod . comment
assimiler le nègre, le russe? il y a ici une figure de secours: l'exotisme. l'autre
devient pur objet, spectacle, guignol: relégué aux confins de l'humanité, il n'attente
plus à la sécurité du chez-soi. ceci est surtout une figure petite-bourgeoise. car,
même s'il ne peut vivre l'autre, le bourgeois peut du moins en imaginer la place: c'est
ce qu'on appelle le libéralisme, qui est une sorte d'économie intellectuelle des places
reconnues. la petite-bourgeoisie n'est pas libérale (elle produit le fascisme, alors que
la bourgeoisie l'utilise): elle fait en retard l'itinéraire bourgeois.
4. la tautologie , je sais, le mot n est pas beau. mais la chose est fort laide
aussi. la tautologie est ce procédé verbal qui consiste à définir le même par le
même (« le théâtre, c'est le théâtre »). on peut voir en elle l'une de ces
conduites magiques dont sartre s'est occupé, dans son esquisse d'une théorie des
émotions : on se réfugie dans la tautologie comme dans la peur, ou la colère, ou la
tristesse, quand on est à court d'explication; la carence accidentelle (p. 240)
(p. 241) du langage s'identifie magiquement avec ce que l'on décide d'être une
résistance naturelle de l'objet. il y a dans la tautologie un double meurtre: on tue le
rationnel parce qu'il vous résiste; on tue le langage parce qu'il vous trahit. la
tautologie est un évanouissement à point venu, une aphasie salutaire, elle est une mort,
ou si l'on veut une comédie, la «représentation» indignée des droits du réel
contre le langage. magique, elle ne peut, bien entendu, que s'abriter derrière un
argument d'autorité: ainsi les parents à bout répondent-ils à l'enfant quémandeur
d'explications «c'est comme ça, parce que c'est comme ça», ou mieux encore: «parce
que, un point, c'est tout»: acte de magie honteuse, qui fait le mouvement verbal du
rationnel mais l'abandonne aussitôt, et croit en être quitte avec la causalité parce
qu'elle en a proféré le mot introducteur. la tautologie atteste une profonde méfiance
à l'égard du langage: on le rejette parce qu'il vous manque. or tout refus du langage
est une mort. la tautologie fonde un monde mort, un monde immobile.
5. le ninisme . j'appelle ainsi cette figure mythologique qui consiste à poser
deux contraires et à balancer l'un par l'autre de façon à les rejeter tous deux. (je ne
veux ni de ceci, ni de cela.) c'est plutôt une figure de mythe bourgeois,
car elle ressortit à une forme moderne de libéralisme. on retrouve ici la figure de la
balance: le réel est d'abord réduit à des analogues; ensuite on le pèse; enfin,
l'égalité constatée, on s'en débarrasse. il y a ici aussi une conduite magique: on
renvoie dos à dos ce qu'il était gênant de choisir; on fuit le réel intolérable en le
réduisant à deux contraires qui s'équilibrent dans la mesure seulement où ils sont
formels, allégés de leur poids spécifique. le ninisme peut avoir des formes
dégradées: en astrologie, par exemple, les maux sont suivis de biens égaux; ils sont
toujours prudemment prédits dans une perspective de compensation: un équilibre terminal
immobilise les valeurs, la vie, le destin, etc; il n'y a plus à choisir, il faut
endosser.
6. la quantification de la qualité . c'est là une figure qui (p. 241)
(p. 242) rôde à travers toutes les figures précédentes. en réduisant toute
qualité à une quantité, le mythe fait une économie d'intelligence: il comprend le
réel à meilleur marché. j'ai donné plusieurs exemples de ce mécanisme, que la
mythologie bourgeoise - et surtout petite-bourgeoise - n'hésite pas à appliquer aux
faits esthétiques qu'elle proclame d'un autre côté participer d'une essence
immatérielle. le théâtre bourgeois est un bon exemple de cette contradiction: d'une
part, le théâtre est donné comme une essence irréductible à tout langage et qui se
découvre seulement au coeur, à l'intuition; il reçoit de cette qualité une dignité
ombrageuse (il est interdit comme crime de «lèse-essence» de parler du théâtre
scientifiquement: ou plutôt, toute façon intellectuelle de poser le théâtre sera
discréditée sous le nom de scientisme, de langage pédant); d'autre part, l'art
dramatique bourgeois repose sur une pure quantification des effets: tout un circuit
d'apparences computables établit une égalité quantitative entre l'argent du billet et
les pleurs du comédien, le luxe d'un décor: ce qu'on appelle, par exemple, chez nous, le
«naturel» de l'acteur est avant tout une quantité bien visible d'effets.
7. le constat . le mythe tend au proverbe. l'idéologie bourgeoise investit ici
ses intérêts essentiels: l'universalisme, le refus d'explication, une hiérarchie
inaltérable du monde. mais il faut distinguer de nouveau le langage-objet du
méta-langage. le proverbe populaire, ancestral, participe encore d'une saisie
instrumentale du monde comme objet. un constat rural, tel que «il fait beau» garde une
liaison réelle avec l'utilité du beau temps; c'est un constat implicitement
technologique; le mot, ici, en dépit de sa forme générale, abstraite, prépare des
actes, il s'insère dans une économie de fabrication: le rural ne parle par sur le
beau temps, il l'agit, l'attire dans son travail. tous nos proverbes populaires
représentent de cette façon une parole active qui s'est peu à peu solidifiée en parole
réflexive, mais d'une réflexion écourtée, réduite à un constat, et timide en quelque
sorte, prudente, attachée au plus près à l'empirisme. le proverbe populaire prévoit
beaucoup plus (p. 242)
(p. 243) qu'il n'affirme, il reste la parole d'une humanité qui se fait, non qui est.
l'aphorisme bourgeois, lui, appartient au méta-langage, c'est un langage second qui
s'exerce sur des objets déjà préparés. sa forme classique est la maxime. ici, le
constat n'est plus dirigé vers un monde à faire; il doit couvrir un monde déjà fait,
enfouir les traces de cette production sous une évidence éternelle: c'est une
contre-explication, l'équivalent noble de la tautologie, de ce parce que
impératif que les parents en mal de savoir suspendent au-dessus de la tête de leurs
enfants. le fondement du constat bourgeois, c'est le bon sens , c'est-à-dire une
vérité qui s'arrête sur l'ordre arbitraire de celui qui la parle.
footnotes
to le mythe, à droite
1. les tirages des journaux sont des données insuffisantes. les autres renseignements
sont accidentels. paris-match, a donné - fait significatif, à des fins de
publicité, - la composition de son public en termes de niveau de vie ( le figaro ,
12 juillet 1955): sur 100 acheteurs, à la ville, 53 ont une automobile, 49 ont une salle
de bains. etc, alors que le niveau de vie moyen du français s'établit ainsi: automobile:
22%, salle de bains: 13%. que le pouvoir d'achat du lecteur de match soit élevé,
la mythologie de cette publication permettait de le prévoir.
2. marx: «... nous devons nous occuper de cette histoire, puisque l'idéologie se
réduit, soit à une conception erronée de cette histoire, soit à une abstraction
complète de cette histoire.» idéologie allemande , i, p. 153.
3. marx «... ce qui en fait des représentants de la petite-bourgeoisie, c'est que
leur esprit, leur conscience ne dépassent pas les limites que cette classe se trace à
ses activités.» (18 brumaire .) et gorki: le petit- bourgeois, c'est l'homme qui
s'est préféré.
(c) editions de seuil 1996
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